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Discussion de groupe

Argumentaire

Tout ce que nous gaspillons pourrait nourrir les nouveaux venus

La lutte contre le gaspillage est évidemment bienvenue, mais la réduction des gaspillages ne constitue pas une source infinie (les quantités gaspillées sont par définition sensiblement inférieures à la production). Une telle diminution ne permettra donc pas de dégager des quantités permettant de nourrir éternellement les nouveaux venus.

La question du gaspillage alimentaire est souvent mal posée. On insiste sur le problème moral en oubliant sa raison d’être économique qui est déterminante.

La cause principale du gaspillage est le très faible prix de la nourriture industrielle. C’est pour cela qu’une partie de la nourriture est souvent jetée, parce que le coût de sa bonne conservation et d’une réduction du gaspillage serait très supérieur au coût de ce qui est ainsi perdu.

Ce raisonnement s’applique aussi bien aux particuliers qu’aux distributeurs. Économiquement et parfois même écologiquement, on peut penser qu’il vaut mieux jeter deux ou trois yaourts (ou autre produits périssables) de temps en temps parce que par précaution nous en avions trop achetés que de prendre plus souvent sa voiture pour aller faire ses courses. C’est là un comportement parfaitement rationnel. De même, le supermarché peut considérer qu’il a plus à perdre à se trouver en rupture de stock et à mécontenter ses clients (et aussi à ne pas vendre) qu’à jeter une certaine fraction du rayon périssable.

D’autre part, les commandes par petites quantités qui permettraient un meilleur ajustement et des gâchis plus limités sont malheureusement très coûteuses du point de vue administratif et logistique. Elles nécessiteraient notamment plus de transports et plus de manutentions qui constituent une part non négligeable du prix final des aliments. Elles présentent d’ailleurs elles-mêmes un impact écologique important qu’un fractionnement ne ferait qu’augmenter

Là encore les choses, aussi choquantes soient-elles, ne se font pas par hasard. Il y a une forme de rationalité économique derrière ces choix. La logistique liée à la bonne conservation des aliments devient extrêmement coûteuse à tous les niveaux si l’on veut atteindre des taux de préservation très importants. Les gains marginaux en taux de préservations sont coûteux économiquement, énergétiquement et même écologiquement. Le niveau de gaspillage est un compromis entre le coût des pertes et le coût des frais de conservation, de manipulation et de gestion.

Tout cela est le fruit de l’industrialisation de l’agriculture qui a fait s’effondrer les coûts de production. C’est le même phénomène qui nous a permis de nourrir plusieurs milliards d’hommes qui nous conduit aujourd’hui à jeter une partie de ce qui est produit. Le gaspillage est facile à critiquer, mais il s’inscrit en réalité dans un processus compliqué relevant de toute l’économie de nos sociétés. Il est choquant, mais si nous étions plus nombreux, nous serions sans doute en réalité conduits non pas à jeter moins mais à produire plus… tout en jetant plus. Où serait le gain ?

Le gaspillage reste moralement choquant bien entendu, le retour à une production plus locale voire familiale permettra peut-être de le réduire, mais il s’accompagnera sans doute pour une part d’un retour à une situation antérieure où le coût de l’alimentation représentait une fraction plus importante des dépenses des ménages. Plus la nourriture sera précieuse et de qualité, plus les efforts pour la préserver seront rentables. C’est probablement en ce sens que nous devons agir en pleine conscience toutefois de ce que cela signifie en terme de prix des aliments.

Enfin, le gaspillage nous semble souvent d’autant plus intolérable que l’on met face-à-face les quantités jetées dans les pays les plus riches et les manques flagrants, sinon la famine, dans les pays les plus pauvres. Hélas, il n’y a pas de transferts possibles de l’un à l’autre. Jeter moins ici ne conduira pas à donner plus ailleurs; le caractère périssable des denrées et les coûts de transport et de manutention dans de bonnes conditions de conservation interdisent cette solution.

Par contre localement, il y a déjà eu d’intéressantes initiatives soit pour demander aux consommateurs à la sortie des supermarchés de donner pour les plus démunis, soit aux mêmes supermarchés de ne pas détruire la nourriture en voie de dépassement des dates de consommation recommandées, mais de la donner aux associations d’aides aux plus pauvres. Ces initiatives participent à une réduction économiquement réaliste des gaspillages. Le risque de constitution durable de populations systématiquement donneuses et d’autres systématiquement receveuses pose d’autres problèmes pour l’équilibre de la société mais c’est une question qui sort du strict débat sur le gaspillage.

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